Marine BOUILLOUD

Comic strip

Marine Bouilloud est une jeune artiste qui vit et travaille à Rennes. Son œuvre, qui commence à acquérir une certaine visibilité s'avère captivante à plus d'un titre.

Marine Bouilloud fait de la peinture, pratique tout juste réhabilitée en France par nos Trissotins de la culture ; souvenons nous de la polémique soulevée en 1987 par l'exposition à Beaubourg de trois jeunes peintres (Moignard, Desgrandchamps, Corpet) : « De la peinture à Beaubourg ! … Elle n'a pas / plus sa place dans ce haut lieu institutionnel de la Modernité… »

Loin de nous l'idée d'une défense « poujadiste » de ce medium ; bien d'autres moyens d'expression prennent peu à peu une ampleur méritée. D'autant plus que la peinture s'apprécie plus difficilement car elle demande indéniablement du temps, de l'intimité et une certaine forme de …culture. Il est de par le monde de nombreux artistes sincères, puissants et novateurs qui ne s'expriment pas par le biais de la peinture. Certes! Mais faut-il pour autant condamner l'acte de peindre? Certainement pas! Comme souvent, les Anglo-Saxons l'ont compris (hélas) bien avant nous.

Pour résumer, tous les moyens nous paraissent bons, de manière non exclusive, si on a « quelque chose » à dire et qu'on le transmet avec sincérité, force et talent. Marine Bouilloud assume son choix, la peinture, envers et contre tous, avec conviction. Sa peinture est une peinture de contenu.

« La peinture, une fabrication d'images alternatives, face au déferlement d'images lisses et de représentations stéréotypées qui s'abat sur notre société de consommation. » Ainsi définit-elle sa pratique artistique qui, pour elle « constitue un acte citoyen qui s'inscrit dans le maintien et / ou le développement du jugement critique auquel tout un chacun peut se confronter, s'il veut défendre sa liberté et son esprit d'analyse. »

La présente exposition de Cesson Sévigné illustre en quelque œuvres le parcours déjà fécond de l'artiste :

Des premiers tableaux de 2004 inspirés de photos d'images télévisuelles issues d'émissions populaires, L'artiste poursuit la critique des « images de masse » en s'intéressant au glissement du fait religieux, au rapport fan / idole, à la confession, bref à la morale, au « politiquement correct » omniprésents dans les mass media. La création d'une série de grands dessins à l'encre dénonçant des foules ahuries applaudissant les grotesques icônes contemporaines : footballeurs, apprenties starlettes télévisuelles augurent les toutes dernières œuvres de l'artiste qui paraissent particulièrement porteuses d'avenir. Marine Bouilloud quitte un certain style BD - de grands aplats, la prédominance du trait, des couleurs vives - pour élaborer des toiles sensiblement plus complexes. L'une de ses toutes dernières toiles, « Jardin d'enfants », nous paraît emblématique d'une maîtrise acquise et d'une richesse accrue « fond/forme. » La forme tout d'abord présente : un jeu subtil entre la couleur (Marine Bouilloud a conçu une palette assez restreinte, sa palette) et la « non couleur », entre les noirs et les blancs, entre les aplats de matière et le fond de la toile, dont la vision de la matière brute exalte la planéité, mais aussi une grande complexité spatiale et de grands raffinements techniques (qui rappelle le merveilleux livre illustré d'André Derain : l'Enchanteur pourrissant) : l'artiste utilise simultanément le positif et le négatif sur une même toile.
inversant la relation entre figure et fond, enrichissant les proportions relatives du noir et du blanc. A noter, à mi-chemin entre le fond et la forme, les titres de Marine Bouilloud : « Zap'peurs, Miss France, Produit périssable, Ménagère et grippe aviaire ». Par leur lucidité et leur causticité n'évoquent-ils pas un certain Dubuffet ?
Quant au fond, au « contenu », la toile est peuplée d'enfants, de poupons roses, mais aussi de bêtes sauvages, des licornes, des poneys, des ours -blancs- en érection, de monstres aux bouches bizarres ; un bestiaire futuriste et médiéval, inquiétant et étrangement serein à la fois.
Un des principaux personnages qui circule en permanence dans cette toile, et plus généralement dans l'œuvre de Marine Bouilloud, c'est la Mort - James Ensor n'est pas loin - et son cortège de squelettes. Dans « Jardin d'enfants », qui joue avec qui, de l'Enfant, la Vie ou de la Mort ?

Jérôme Bosch, James Ensor, les gravures fauves de Derain, l'Homme des Cavernes, mais aussi certains comics US, l'œuvre de Marine Bouilloud, c'est un peu tout cela à la fois… Une œuvre se construit…


Nicolas Silin, galeriste à Paris, février 2006. Extrait du catalogue d'exposition Le théâtre de Guignol.